Un Druide.

Médecine générale en terres bretonnes.

Archives mensuelles de “septembre, 2012”

Les gens.

Quand on veut émettre un sentiment que l’on pense général. Quand on veut dévoiler ses opinions, non assumées, en les mettant dans la bouche des autres. Quand on ment. Quand on déforme la réalité. Quand on s’arrange avec la vérité. Quand on veut faire parler la vox populi sans citer de sources. Quand on parle de ce qu’on ne connait pas.

Bref, quand on veut dire des choses approximatives sans trop se justifier, on utilise la formule « les gens ». « Les gens » c’est tout le monde et personne. C’est le voisin, le patient, le collègue, le politique. C’est le rural qui « cause dans le poste » au « Treize Heures » de TF1, sous-titré bien sûr car pourvu d’un fort accent régional (1). C’est l’éminent Professeur d’Université parisien qui jette un oeil au delà du boulevard périphérique. Ce sont les parents, les tontons, les tatas…

Et si j’en parle en ce jour, des gens, c’est parce qu’ils me font suer! En politique, en économie, en faits de société… et bien sûr dans le domaine de la santé (on est là pour ça, hein?). Plus particulièrement sur le délicat sujet de la désertification médicale. On entend tout et n’importe quoi à ce sujet, que ça vienne de la rue ou des plus hautes sphères de la République.

Alors pour une fois, je vais essayer d’écouter ces « gens », de répondre simplement, à mon humble niveau de médecin généraliste en fin de formation initiale, à leurs questions ou affirmations.

« Les jeunes médecins, il faudrait les obliger à aller dans les zones sous-dotées, on leur paye leurs études »

En effet, la faculté de médecine a un coût pour la collectivité, comme les facultés de mathématiques, histoire, lettres… Une année de faculté revient environ à 9000€ par an à l’Etat. Par comparaison une année en classe préparatoire frôle les 14000€ , en BTS les 13500€. Une année en IUT est comparable à une année en faculté. (source)

On voit bien ici que l’argument « on paye leurs études » ne tient pas. Ou alors il faudrait obliger également tous les autres corps de métier qui fuient les déserts de vie (et pas uniquement médicaux) à s’y installer. Boulangers, artisans, techniciens… sont aussi très importants pour la vie des gens et des villages qu’ils habitent.

Les études de médecine sont quasi exclusivement théoriques pendant 3 ans, s’en suivent 3 années d’externat où l’étudiant est à l’hôpital tous les matins et 3 ans d’internat où il travaille tous les jours à l’hôpital ou au cabinet de médecine générale. Je dis bien travail, donc rémunéré, car bien qu’en formation l’interne est la main d’oeuvre médicale de l’hôpital, avec des responsabilités certaines et des horaires parfois à rallonge. Ces années ne peuvent être vues comme des « études » à proprement parler qui seraient une charge pour le contribuable, les internes étant quotidiennement au lit du malade, à donner des soins aux patients en ayant besoin. (2)

Et en ce qui concerne la question de la remise en cause de la liberté d’installation c’est tout simplement contre productif, du moins au sens où l’entendent « les gens ». Dire aux internes « Vous cinq là-bas, faites vos bagages, vous partez à tel endroit » aurait pour conséquence d’inciter au salariat ou à des changements d’orientation. Après il est vrai qu’on peut réfléchir à une obligation d’exercer dans la région de l’internat ou autre, mais de façon concertée et annoncé au début de l’internat, le changement de règle en cours de partie étant inacceptable.

« C’est à cause de la féminisation de la médecine qu’il y a des problèmes de démographie médicale, de toute façon elles veulent faire 35 heures! « 

Les amphithéâtres de médecine sont composés à environ 70% de femmes, c’est un fait. Et c’est un fait également de dire que les femmes font des enfants. Mais dire que cet état de fait explique les désert médicaux est inexact, en plus d’être stigmatisant pour mes consoeurs. Bien sûr les femmes ne veulent pas travailler 90 heures par semaine, être de garde un jour sur quatre et un week-end sur deux… mais la plupart des hommes de la nouvelle génération (et de plus en plus de l’ancienne) non plus! Ce n’est pas un problème homme/femme mais tout simplement un problème de génération. Comment vouloir travailler 12 heures par jour 6 jours sur 7 quand depuis des années les salariés bénéficient des 35 heures et des RTT? Comment être épanoui personnellement et professionnellement quand on n’a ni vie de famille ni loisirs? C’est terminé! On veut voir nos enfants, nos conjoints, avoir des activités, simplement, comme les patients qui viennent nous voir. (3)

« De toutes façons, ils ne veulent aller que sur la Côte d’Azur ou en région parisienne »

Encore une fois ce n’est pas vrai. Nous sommes beaucoup à vouloir travailler dans des zones rurales mais il n’est pas possible de demander à un médecin d’aller tout seul là où même l’Etat a démissionné! On ne doit plus s’attendre à voir un médecin débarquer seul dans un village sans bureau de Poste, sans écoles ou commerces, même si cela entraîne l’ire des maires des villages concernés. Etre isolé comme médecin amène à être dérangeable 24h/24 7j/7, à ne pas avoir de spécialiste ou d’hôpital à une distance acceptable… Il faut de plus penser au conjoint qui doit trouver un emploi, car le statut précaire d’épouse secrétaire a vécu. Et il n’est pas aberrent  de vouloir pour soi et ses enfants des écoles, des installations sportives ou culturelles… à moins de deux heures de route. (4)

De toute façon il n’y a pas de zones sur dotées, ou peu. Il y a des zones bien dotées, et d’autres qui sont sous dotées. Un médecin n’ira pas s’installer là où il n’aura pas de travail, il faut être raisonnable. Mais toujours parler des campagnes est réducteur, certaines grandes villes et leurs banlieues sont aussi en manque de médecin avec des déserts qui apparaissent, en région parisienne notamment. Et les raisons sont les même, là où les services partent les médecins partent, ou ne viennent pas.

« De mon temps, le médecin il venait quand on l’appelait, on pouvait le voir tout le temps, c’est pas comme maintenant! »

Pour quel résultat… Les médecins généralistes qui ont passé la cinquantaine sont sur les rotules, au bord du burn-out. Ils bossaient tous les jours, et les nuits, 12 à 15 heures par jour. Mais beaucoup de ces médecins ont soit baissé le pied (au prix du mécontentement des patients…) ou soit dévissé leur plaque (ou sont morts, et oui). Certains continuent bien sûr, car la pression des patients est forte, comme le sens du devoir.

Mais là encore, c’est terminé! On tente autant que possible d’éduquer les patients, de programmer ce qui n’est pas de l’urgent, de proposer de voir le médecin de garde ou le remplaçant si le patient doit consulter à un moment où on ne peut le voir, de faire accepter une amplitude horaire qui ne soit pas 8h-22h etc. Mais c’est très dur! Le patient est souvent ambivalent, tantôt il comprend « vous avez raison docteur de prendre du temps pour vous », tantôt non « il est jamais là quand on a besoin » « c’est encore le remplaçant » « S’il vous plait, à 21 heures ce soir, j’ai ce dossier à remplir » 

Ce n’est pas toujours facile pour les jeunes médecins que nous sommes de faire respecter cette envie et ce besoin d’exercer autrement, et c’est vrai que c’est plus aisé de le faire dans un cabinet de groupe (ou proche d’autre médecins) que seul dans son coin. C’est aussi un frein à l’installation. C’est aussi une des raisons qui amène des collègues à se salarier à l’hôpital, en PMI ou autre.

« Avec les sous qu’ils ont ils devraient être contents! »

Le médecin généraliste gagne bien sa vie. Il n’est pas « blindé », enfin pas la plupart, mais on doit être lucide et admettre qu’à la fin du mois c’est plus agréable que pour un chômeur, un temps partiel précaire ou un employé au SMIC. Mais « les gens » qui crient au nantis, au bourgeois, ne voient pas la réalité. L’une des choses qui m’énerve le plus (il y en a beaucoup) c’est de lire des articles sur le net avec toujours les même « trolls » (comprenez un commentateur de mauvaise fois ou haineux) qui nous multiplient 23€ avec le nombre de consultations mensuelles, ce qui donne des salaires exubérants. Car sans faire pleurer dans les chaumières (encore une fois ce n’est pas une lamentation mais une explication), il faut savoir que le généraliste ( comme les autres libéraux) doit déduire de ses honoraires des cotisations en tout genre, les frais du cabinet, salaire de secrétaire… Lors d’un arrêt de travail le délai de carence est de 90 jours, il n’y a pas de congés payés, la caisse de retraite est au bord de l’implosion. Les conditions autour de la maternité des femmes médecins sont peu avantageuses.

Tout cela incite nombre de collègues comme je l’ai dit plus haut, à se diriger vers le salariat: une fiche de paie à la fin du mois donc pas de comptabilité à faire, des RTT, des congés payés, arrêts de travail et maternité mieux couverts, horaires fixes le plus souvent. On ne pourra attirer vraiment les gens en médecine générale et donc libérale qu’en sécurisant son exercice et en allégeant les contraintes. Mais à ce moment là est-ce toujours du libéral? Vaste débat. D’ailleurs la question du statut libéral du généraliste se pose, mais je n’ai pas le recul et le savoir suffisants pour en parler de façon éclairée.

Voilà. Un billet fourre-tout, présentant des imprécisions car toutes mes pensées ne sont pas claires sur le sujet et sont en cours de maturation. Et surtout un billet qui fait écho à beaucoup d’autres que j’ai lu récemment ou il y a longtemps, je vous laisse les consulter pour continuer la réflexion!

1) Référence à une discussion récente avec ma consoeur de l’Est @DocArnica 🙂

2)  Les sous c’est pas la solution et 4) Gratuit de la géniale Gélule

3) La vie c’est le (tré) pied! sur le blog de l’im-pec-cable Matthieu Calafiore

Et si ce n’est pas encore fait allez lire le texte des « 24 médecins blogueurs »!!

Agent double.

L’internat de médecine générale dure trois ans, découpés en six semestres. Et pendant ces trois ans on ne passe que six mois (voire un an) en stage auprès d’un médecin généraliste maître de stage (en deuxième année dans ma Faculté). On peut débattre sur la durée ( internat en quatre ans envisagé) et sur le temps passé en médecine générale (au mieux un tiers de notre formation) mais ce n’est pas le sujet du jour.

Mais alors où passez vous les quatre à cinq semestres restants me demanderez vous? (allez, posez moi la question!) … Et bien à l’hôpital bien sûr! Nous faisons tourner sommes formés dans les services de pédiatrie, urgences, médecine, cardiologie… enfin dans tous les services (ou presque) des CHU et autres hôpitaux périphériques du territoire « couvert » par notre faculté.

Cette petite introduction permet de planter le décor et mieux comprendre la suite de mon propos.

Pendant la première année d’internat nous sommes donc dans les services hospitaliers (médecine, urgences, pédiatrie le plus souvent) et apprenons la médecine hospitalière. Au-delà du biais de recrutement évident de la population prise en charge (cf le fameux carré de White cher aux généralistes enseignants) cette situation a pour effet pervers de faire de nous des « enfants de l’Hôpital », avides de gestes techniques compliqués, d’examens complémentaires toujours plus nombreux… Nous sommes formatés pour être de bons petits soldats, sensibles à la hiérarchie, aux luttes internes dans certains services et entre services, à l’écoute des visiteurs médicaux. Et bien qu’internes de médecine générale (IMG) il peut arriver qu’étant bien enrôlés on se mette à ressentir une forte appartenance au service auquel on appartient, voire à la spécialité présente dans le-dit service.

Et comme beaucoup d’internes passés par là on se surprend à être corporatiste parfois même désobligeant envers les autres services, ou envers les médecins généralistes des patients que l’on reçoit. Cela est surtout vrai aux Urgences où le sport national est de commencer la prise en charge d’un patient par « N’importe quoi le médecin traitant, regarde son courrier pourri! » (de nombreuses variantes existent).

J’ai été un de ceux là, qui après trois mois d’internat se permettent des mots pas du tout confraternels envers ses pairs. J’ai vu le dédain que pouvaient ressentir certains « patrons » envers les médecins généralistes, eux-mêmes oubliant notre statut d’IMG en nous vomissant des propos dégueulasses sur « l’Omnipraticien ».

Puis on passe de l’autre côté. Le stage au cabinet de médecins généralistes maîtres de stage, « stage prat' » pour les intimes. On devient le médecin généraliste, le médecin traitant, de famille. On se dit que les bisbilles sont terminées, que les relations vont être meilleures. Sincèrement cela est vrai, mais on remarque vite qu’il n’est pas rare d’entendre de la part de médecins généralistes des remarques peu élogieuses sur les hospitaliers. Après la CPAM l’une des principales causes d’énervement est l’Hôpital.

Que penser à ce moment là. On se sent comme un agent double, un traitre. « L’Hôpital », il y a peu, c’était nous. « Les généralistes », depuis peu, c’est nous. On apprend ce qu’est le métier de généraliste, son fonctionnement, ses moyens, la différence d’approche des patients. La médecine de terrain se montre à nous, faite de connaissances nombreuses bien sûr, mais aussi de compromis entre ce qui devrait être fait, ce qui pourrait être fait et ce que le patient fera finalement (« Comment ça elle veut pas la prise de sang?! » « Mais ça fait un an que vous deviez voir l’ophtalmo! » « Quoi? Vous avez arrêté votre insuline pour maigrir? »…)

Evidemment je caricature, il n’y a pas la médecine hyper pointue déshumanisée d’un côté et la médecine de débrouille humaniste de l’autre (pour être concis je fais des raccourcis et donc c’est un peu caricatural, j’avoue, désolé!)

Le pire pour moi a été mon semestre aux urgences. Après mon stage prat’. Ou comment être à la fois généraliste de formation et interne en stage aux urgences. Comment se mettre à la place du MG qui adresse son patient et à la place de l’urgentiste qui le reçoit. Bon, mettons tout de suite de côté les urgences vitales où là il n’y a pas de polémiques possibles.

Les situations les plus conflictuelles sont celles où les patients arrivent aux Urgences avec un courrier hiéroglyphique sans aucun élément type « Cher confrère merci de voir Mme X qui souffre. Bien confraternellement » ou à l’inverse des patients qui partent sans éléments d’informations (ou peu) ou alors avec X examens à réaliser en externe (à prévoir bien sûr par le généraliste qui n’a plus qu’à se débrouiller- le bilan d’AIT à faire en ville en est un bon exemple-).

Bref bien souvent un problème de communication. Car des généralistes ou des spécialistes nuls, il y en a. Mais souvent les querelles viennent d’un manque d’information et de communication entre les différents médecins. Et c’est vraiment rageant d’avoir l’air d’être pris pour un imbécile par un confrère, que l’on soit celui qui adresse ou celui qui reçoit le patient.

Voici donc deux petits courriers, que je n’ai bien sûr jamais envoyés a personne, dans lesquels je vais pouvoir coucher les mots qui me viennent à chaque fois que se présentent ces situations.

« Cher confrère,

J’ai vu ce jour aux urgences Mme X, 82 ans, que vous avez adressé pour confusion depuis trois semaines.

Il est bien regrettable que vous n’ayez pas pris quelques minutes pour m’indiquer ses antécédents, son traitement

et son mode de vie dans votre courrier, surtout que je n’ai pu vous contacter étant donné qu’on est samedi

et qu’il était 20 heures au moment de la prendre en charge. En fouillant sa valise on a pu trouver quelques boites

de médicaments nous indiquant quelques pathologies en cours. Mme X n’ayant pas de proches je ne sais pas comment elle est

d’habitude, elle a donc eu le droit à une TDM cérébrale et à un bilan sanguin qui montrent qu’elle a 82 ans. Je lui

prescris du paracétamol en raison de lombalgies et de fessalgies consécutives à une station prolongée en

décubitus dorsal sur un brancard inconfortable pendant des heures. Elle est charmante, un peu perdue, et ne peut nous informer

sur son logement donc je l’hospitalise un jour ou deux pour ne pas la renvoyer dans l’inconnu.

Bien confraternellement, Un Druide interne aux urgences »

« Cher confrère,

Je revois en consultation M. X, 52 ans, que je vous avais adressé il y a quelques semaines après la découverte

d’anomalies biologiques sur un bilan réalisé pour asthénie. Je vous avais alors téléphoné le jour même pour avoir un

rendez-vous rapidement et avais rédigé un courrier détaillé des antécédents, traitements, symptômes. J’avais joint

également l’ensemble des résultats de biologie , en particulier la numération sanguine (les globules) qui disait

attention maladie du sang pas gentille, demande à ton copain l’hémato.

J’ai face à moi le patient, qui me raconte son hospitalisation, le trou qu’on lui a fait dans le sternum

pour lui prendre de la moelle épinière (« osseuse, de la moelle osseuse monsieur! »), les perfusions, les consultations après

l’hospitalisation. Je voudrais vous dire mon étonnement de n’avoir rien reçu de votre part, ni compte rendu,

ni suivi, ni informations à donner au patient. Je tente ce jour de vous joindre devant mon patient

mais personne n’est disponible pour me répondre et les courriers ne sont pas disponibles. Veuillez excuser

les imprécisions de mon courrier mais je répète les mots du patient donc je ne peux utiliser des

termes médicaux. J’espère donc recevoir au plus vite de quoi informer, rassurer, expliquer,

faire le suivi approprié et ainsi ne pas passer pour une buse qui n’est au courant de rien concernant

la pathologie grave de son patient. J’aimerais juste faire mon métier, pour le bien du patient.

Bien confraternellement, Un Druide médecin généraliste en formation »

Je tiens à préciser que ces deux courriers fictifs m’ont été inspirés d’histoires vécues, la première aux Urgences, la seconde en stage prat’ en deuxième année.

L’objet de ce billet est bien de rappeler que la communication entre professionnels est essentielle pour des relations de qualité et  une prise en charge optimale du patient. Qu’en tant qu’IMG on est soumis à cette dualité dans la formation. Je n’ai aucune volonté de jeter l’opprobre sur telle ou telle discipline ou exercice, j’espère que mon texte ne sera pas ressenti ainsi (si tel est le cas j’attends les commentaires…)

Sur ce, assez de communication pour aujourd’hui. Bonne lecture!

Jeune couple.

Ils ne se sentent plus seuls, ils se sont trouvés. Deux personnes au lourd passé, à la vie déjà longue, souffrant de la solitude et de l’incompréhension du monde environnant.

Leurs débuts furent hésitants, des regards anxieux, des sourires un peu vagues, de rares mots maladroits.

Progressivement ils passèrent de plus en plus de temps l’un près de l’autre, l’un contre l’autre, en silence. Ces deux âmes, pour qui les mots étaient devenus superflus, trouvaient calme et sérénité à être ensemble.

Le cadre de cette idylle naissante n’était pourtant pas des plus romantiques : des murs froids, du mobilier neutre, et une intimité limitée par la présence constante de plusieurs personnes à proximité; ces témoins malgré eux,  certains amusés, certains attendris ou encore d’autres gênés par cette situation inattendue, j’en fais parti.

Nous sommes dans une structure spécialisée dans la prise en charge du grand âge et de ses pathologies, en particulier les troubles de la mémoire.

Elle est veuve, a trois enfants aimants et vit depuis de nombreuses années avec sa maladie d’Alzheimer qui chaque jour lui retire une nouvelle partie de ce qu’elle est.

Lui n’a pas d’enfant, a une femme qui pour lui n’existe plus et cumule de multiples étiologies à sa démence : démence vasculaire, ischémie frontale, intervention neurochirurgicale…

Ils ont 80 ans, mais les années passées, aussi riches et belles furent elles, n’ont laissé que peu de traces. Elle voit ses frères et soeurs quand elle regarde ses enfants. Il n’a plus le souvenir des 60 ans de mariage passés avec sa femme, ou si peu.

Avant d’assister à cette histoire naissante je ne m’étais jamais posé de questions sur la problématique de la relation amoureuse des personnes âgées en institutions, d’autant plus si celles-ci souffrent d’une pathologie neurodégénérative.

Il a d’abord fallu abattre des tabous que je ne pensais avoir, à savoir l’amour et la sexualité dans le grand âge. Regarder avec tendresse deux octogénaires en couple ne va pas de soi, même si on pense être très ouvert et compréhensif de nature. Ici il n’est question que de rapports platoniques mais par extension on est amenés à se questionner sur des relations plus charnelles.

En tant que soignant, la vision objective et non impliquée émotionnellement permet de se réjouir du bienfait de cette relation; en effet les troubles du comportement présentés par les deux amoureux ont régressé de façon notable avec une baisse progressive des posologies des traitements par neuroleptiques et anxiolytiques. Je conçois désormais mieux que démence puisse rimer avec romance, pour d’aimants déments; et malgré les difficultés et les réticences cela peut être une aide dans la prise en charge du malade.

En tant que proche, en revanche, la situation est bien différente. On a eu beaucoup de chance d’avoir face à nous des gens compréhensifs et bien au fait de la maladie de leur parent mais malgré la tolérance de cette union celle-ci fut source de souffrance.

L’épouse du monsieur a beaucoup souffert de perdre ainsi son mari, même si depuis quelques mois la situation était déjà critique avec des troubles mnésiques majeurs et une entrée en maison de retraite. La séparation avait été une déchirure, une séparation qui n’en est pas vraiment une, un éloignement forcé sont autant de deuils successifs difficiles à conclure. Car comme me l’a dit un collègue un jour « l’institutionnalisation est un divorce qui ne dit pas son nom ».

Les enfants de madame ont plus facilement accepté les faits, trouvant même le monsieur sympathique avec une ressemblance avec leur père décédé; ils ont surtout été soulagés de voir leur mère apaisée pour la première fois depuis longtemps.

Bientôt malheureusement l’un des deux partira de l’unité, rompant ce lien salvateur qui les unit, et nous commençons tous, soignants et parents, à appréhender cette rupture subie qui risque fort d’engendrer confusion, agitation voire dépression.

A nous tous à ce moment d’être présents, pour les patients et leurs proches, en sachant toutefois qu’aucune thérapeutique ne pourra remplacer la quiétude et les émotions apportées par cette relation, pleine d’affection.

Pour compléter ce texte et avoir quelques informations je vous propose de venir par ici et par là.

Souvenirs de PCEM1. Nuit à la santé?

Coup d’oeil dans le rétro, sur ces dix années passées en médecine. Malgré cette décennie riche sur le plan professionnel et personnel avec de nombreux évènements marquants, le temps ne peut effacer le douloureux souvenir qu’ont été pour moi mes deux années de PCEM1 (première année de médecine).

L’éloignement géographique de la faculté la plus proche m’a contraint comme beaucoup à quitter le cocon familial pour gagner un studio minuscule « à la ville ». Ce déracinement, loin de sa famille et de ses amis est une première épreuve à supporter. Partir de chez soi pour faire un voyage ou s’éclater entre amis est une perspective grisante, mais s’engager dans une galère pareille sans soutien à proximité immédiate, cela devient beaucoup moins excitant.

Bon la fac, on y est préparé, on le sait que la sélection est drastique et que la quantité de travail à fournir est énorme. Malgré cela je me rappelle encore quel choc cela a pu être de me retrouver noyé dans cet amphithéâtre où se massaient des bancs d’étudiants se regardant en chien de faïence. Et en guise de cadeau de bienvenue  le premier cours d’anatomie sur les muscles et nerfs du cou, sans support pédagogique, nous a mis dans le bain (génio-hyoidien? mais c’est quoi ce truc? c’est où? ça s’écrit comment?) 

Les jours et les semaines suivants, au hasard de cours de Sciences humaines, je n’ai pu m’empêcher de relever une triste ironie sur la situation qui était la nôtre à ce moment-là. En effet on apprend dans ces cours les différentes définitions de la Santé et en particulier celle de l’OMS bien ancrée en sous-cortical dans le cerveau de tous les étudiants en médecine: « état de complet bien être physique, mental et social ». Je n’ai jamais cessé d’y repenser par la suite, pendant les périodes de fatigue ou de spleen et je pense pouvoir dire que ces deux années ont été une période néfaste à ma santé, dans les trois champs de sa définition.

« Bien être physique »: le stress, le rythme de travail et l’isolement ne sont pas les meilleurs alliés pour une hygiène de vie irréprochable. Pour ma part tabac et caféine m’ont souvent accompagné pendant mes longues journées de labeur. Mon alimentation ne s’approchait que rarement des taux de glucides lipides et protéines appris en physiologie, le plat de base étant les pâtes avec toutes ses déclinaisons estudiantines et les fruits et légumes étaient plutôt rares. Plus globalement le suivi somatique était pour beaucoup insuffisant ou inexistant (c’était et c’est toujours le cas bien sûr dans toutes les filières, pas seulement en médecine) pour des raisons financières ou à cause de l’absence de médecin traitant.

« Bien être mental »: de ce côté là ce n’était pas mieux! Stress, angoisse, troubles du sommeil avec même parfois des épisodes d’humeur dépressive ont rythmés ces deux années. La peur de l’échec était terrible, nourrie par un désir ancien et viscéral de devenir médecin, mais aussi par la pression de l’entourage. Pas une pression explicite  mais une attente énorme, un espoir de voir son enfant réussir des études supérieures et devenir « Docteur », statut encore très respecté dans les campagnes d’où je viens. Et bien sûr l’isolement est dans ce cas un bon catalyseur pour se morfondre et entretenir sa mélancolie.

« Bien être social »: Le manque de relations humaines fut particulièrement éprouvant les premières semaines, quand fraichement débarqué je me suis retrouvé en tête à tête avec mon poste de radio de nombreuses soirées. On pense alors à ce qui se passe chez soi, on imagine sa place vide à table, la famille qui se réorganise sans soi. Idem pour les amis qui bien entendu continuent de se voir, de faire des soirées auxquelles on ne peut participer que rarement. Heureusement au fil du temps des relations se mirent en place avec des compagnons de galère pour mieux affronter ce foutu concours.

L’histoire s’est quand même bien terminée avec l’obtention du concours, à la deuxième tentative, mais je ne suis pas sorti indemne de ce parcours qui a changé une partie de moi.

J’ai depuis discuté avec de nombreux collègues et comparé nos expériences et certains n’en gardent pas un si mauvais souvenir…

Pour conclure ce billet et l’illustrer en vers je vais vous livrer un poème qui constitue à lui seul l’intégral de ma carrière de poète (oui le seul, c’est ça) que j’avais écrit trois mois après le début de l’année universitaire (soyez indulgents, c’est pas mon métier!)

Terre de bord de mer où il faut que je reste,

Loin de ceux qui m’entourent et de celle que j’aime,

Loin de ma jeune vie que je pleure en poème,

Tu m’emprisonnes, vile femme appelée Brest.

Le matin Dame Brume de son corps me baigne.

Je ne sais ce qui glisse le long de mes joues,

Sa pellicule humide qui rend ma vue floue

Ou cette haine amère qui par mes larmes saigne.

Mon âme n’est faite que d’essentiels désirs,

Ceux d’exister, de vivre, d’aimer et de rire

Mais ces désirs s’effacent devant la raison.

Malgré tout c’est toi qui traces mon avenir,

Avenir tant souhaité qui m’empêche de fuir

Et me fait abimer mes plus belles saisons.

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